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CONTRIBUTION DE LA GUADELOUPE



s’il me répond oui, comme c’est probable : "Eh bien ! lui répliquerai-je, voici un renseignement qui n’est pas sans intérêt pour vous. Du temps où l’on croyait à la supériorité du sang des nobles, il y avait, de par le monde, un pays où tout homme de votre profession qui avait exécuté pendant sa vie sept nobles se trouvait par ce fait-là noble lui-même. Or, comme dans ce siècle, en France, quatre têtes de républicains valent, je l’espère, plus que, nulle part, n’ont jamais pu valoir sept nobles, même tout entiers, vous pourrez, si cela vous convient, aller demander tout à l’heure, non pas un honneur quelconque qui ait trait au républicanisme, — c’est Dieu et la conscience seuls qui confèrent cette noblesse-là, — mais la croix à celui qui vous paie". Telle fut mon allocution préparée pour l’instant dit de la toilette. Il m’en fallait une autre à prononcer pendant la halte sur l’échafaud et, je sais quelle réminiscence historique j’évoquais pour ce moment : le souvenir du jeune Gonradin de Hohenstaufen, jetant parmi la foule son gantelet avec le cri : "A qui me vengera !" Je n’avais pas de gantelet à faire relever par personne, pas plus que je souhaitais de vengeance pour moi-même, mais il y avait un contraste à présenter entre le sentiment qui avait poussé le fils des empereurs et des rois à résumer ainsi sa dernière pensée et le principe au nom duquel moi, fils de la démocratie et chevalier du meilleur des droits, je cherchais par mon cri : "Vive la République ! vive la France !" à jeter, en mourant, mon amour dans l’esprit du peuple. Malheureusement, c’était un peu long, et je travaillais à renfermer mon idée dans une phrase assez courte pour que j’eusse le temps de la dire, lorsqu’on vint me chercher pour le parloir. J’éprouvai de nouveau la crainte que ce ne fut pas ma sœur ; mais le gardien, à qui j’en fis la demande, me rassura, en me disant que c’étaient des hommes, et à ce qu’il croyait, mes avocats. L’un de mes visiteurs était, en effet, Emmanuel Arago, et l’autre, mon beau-frère. Ce fut