Page:Laprade - Poèmes évangéliques, Lévy, 1860.djvu/18

Cette page n’a pas encore été corrigée

que nous avions touché juste à la plaie de notre temps.

On nous a fait un crime d’avoir divinisé la douleur ; on nous affirme que le progrès social effacera de cette vie l’effort, la pauvreté, la souffrance sous toutes ses formes. Un tel reproche adressé à des tableaux que domine le Calvaire, à d’humbles méditations sur la parole d’un Dieu qui vécut pauvre et mourut sur la croix, témoigne surabondamment de cette grande hérésie morale que nous attaquons, et qui se rencontre au fond de toutes les erreurs modernes. Le culte exclusif du bien-être, un âpre désir de jouissance, l’idée chimérique d’abolir la lutte dans la conscience et l’effort dans le travail, voilà le principe des criminelles utopies qui ont fait courir tant de dangers à la civilisation et de toutes les bassesses qui cherchent leur excuse dans ces périls.

Serions-nous donc, après dix-huit siècles de christianisme, tombés jusqu’à une conception de la société dont se fussent indignés les législateurs païens, à une philosophie que les derniers sectateurs de la sagesse antique eussent rejetée avec dégoût ? Dans quelle cité païenne eut-on pour suprême but de produire et de partager la plus grande somme de jouissance et de luxe ? Était-ce là l’idéal dont s’inspirèrent les premiers fondateurs de villes et d’institutions ? Lisez leurs écrits, voyez leurs œuvres vivantes dans l’histoire des peuples. Non, ce n’est pas dans l’unique pensée de se garantir une vie plus opulente et plus facile que se réunirent sous des lois les hommes, même les moins avancés dans la vérité religieuse. Ce n’était pas pour l’abondance du pain et des voluptés que mouraient tous les grands martyrs du patriotisme antique ; c’était pour assurer aux citoyens à l’abri