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par la force des choses à cette lutte désespérante de la phrase poétique française avec le latin delà Vulgate, lorsque amené à citer une parole du Sauveur, nous sentions la nécessité et la convenance de calquer les expressions du livre saint. Tantôt c’était la valeur sacramentelle du texte, tantôt la poésie et l’élégance du vers que nous sentions échapper. Et quels tourments de conscience pour ne satisfaire qu’à demi les scrupules du croyant ou ceux du poëte ! Aussi n’avons-nous jamais songé à faire de notre livre une traduction en vers de l’Évangile.

Plus dangereuse encore qu’une traduction serait la pensée de chercher dans la vie du Christ le sujet d’un drame ou d’une épopée. La vraie notion de l’art est d’accord sur ce point avec le sentiment religieux. Les pages où sont gravées les inflexibles symboles du dogme ne doivent pas être assujetties aux caprices d’une mise en scène. En Grèce et dans l’Orient, les créations des poëtes ont pu prendre place parmi les livres sacrés du paganisme ; mais nos saintes Écritures ne peuvent se transformer en œuvres d’imagination, et figurer dans le bagage d’un poëte moderne. S’inspirer de l’Évangile, en exprimer le sens avec respect et avec amour, voilà ce qui est permis au poëte chrétien ; mais refaire l’Évangile en le soumettant aux lois de la tragédie ou de l’épopée, la religion ne le permet pas et l’art ne le conseillera jamais.

L’emploi du merveilleux chrétien dans la poésie soulève une question toute différente. Introduire dans un récit épique quelques-uns des personnages surnaturels du christianisme, c’est courir .moins de périls que de prendre directement pour sujet des faits divins,