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des villes, et qui s’exhale dans son premier dialogue avec la nature, avec les voix qui le saluent sur le seuil de la solitude.

L’effet produit sur l’âme par ces salubres émanations des champs, par cette harmonie pénétrante des parfums, des couleurs et des accords, par cette révélation de l’ordre et du repos au sein d’une loi immuable, est d’abord un effet de calme et d’apaisement. Il s’est opéré une sorte d’épanouissement dans l’homme tout entier ; le sang coule dans ses veines plus largement, avec plus de régularité et sans fébriles ardeurs ; les sensations douloureuses s’atténuent et s’endorment dans les organes souffrants, les douleurs morales se voilent. Un nuage chargé d’un fluide bienfaisant semble s’étendre sur toutes les perceptions pénibles de la conscience ; la rosée qu’il y dépose adoucit toutes les âcretés de la passion, tout ce qu’il y avait de cuisant et d’enflammé dans les regrets et dans les désirs, tout ce qu’il y avait d’âpre et de rongeur dans les ambitions et dans les colères. La noble tristesse que l’ami des solitudes avait rapportée du commerce des hommes s’épure et s’ennoblit encore dans cet apaisement. Il n’y reste plus rien de ce qui pouvait s’y mêler de maladif et de personnel ; ce n’est plus que le fait moral nécessaire, la sainte protestation de la conscience contre le mal et l’énergique désir de le combattre.

Mais le poëte continue sa marche à travers la nature. Ce sera, si vous voulez, un de ces voyages au sein des régions alpestres, où, dans la même journée, on traverse plusieurs climats et plusieurs zones différentes de productions végétales. Parti le matin des rives du Léman, du pied d’un coteau chargé de vignes, on va se reposer le soir au bord des neiges éternelles. On veut tenter l’ascension d’un de ces pics sublimes, d’où le hardi voyageur aperçoit autour de lui, au lever du jour, les cime