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et les stations diverses de ce sublime pèlerinage dans quelques-unes des Symphonies et dans les Idylles héroïques.

Le poëte est sorti des villes, pénétré d’une certaine tristesse dont ses premières paroles trahissent l’amertume. Ce n’est pas la lassitude ou les mécomptes personnels, c’est la douloureuse impression des misères morales de son temps qui* a déposé en lui ce levain de mélancolie et de colère. Faudra-t-il l’en blâmer et lancer contre lui, au nom de ce qu’on appelle le progrès, de banales accusations, parce qu’il a refusé de reconnaître un bien véritable dans cet accroissement du luxe, qui remplace de nos jours le goût et la nécessité des arts, parce que, en un mot, il mesure le progrès à la condition des âmes ? On demande qu’il se réjouisse et qu’il espère ! et, depuis qu’il a l’âge d’homme, il a vu la dignité morale, l’esprit de dévouement, la vigueur et la fierté des caractères, les fortes convictions, tous les nobles enthousiasmes ébranlés, minés chaque jour plus à fond par les institutions et par les mœurs. A-t-il mérité le reproche d’égoïsme, de rêverie et d’oisiveté, parce qu’il refuse de s’associer à cette agitation si différente de la saine activité, à ce travail qui détruit en réalité ce qu’il a l’air de produire, à une œuvre enfin si contraire au devoir imposé au poëte, devoir d’édification morale et d’excitation aux difficiles vertus ? S’il est inévitable qu’à certains moments les sociétés oublient l’orgueil des ambitions généreuses dans la prudence des appétits matériels, dans l’unique désir de la richesse et du repos, qu’il soit permis du moins à quelques âmes de manifester d’autres soucis. Attendons donc encore avant d’exiger du poëte qu’il préfère au péril des nobles aspirations la sécurité douteuse de l’abaissement.

Telle est la tristesse, fort excusable ou du moins fort désintéressée, que le voyageur du désert apporte avec lui