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Nouveau Monde, c’est en l’associant à ce qu’il a nommé lui-même, dans le Génie du christianisme, le vague des passions. C’est encore la rêverie, un malaise de l’âme, une souffrance indéterminée qui s’éveille le plus souvent au sein des magnifiques paysages de Lamartine, au moins dans les Méditations. Cette apparition simultanée de la poésie de la nature et de la mélancolie dans les lettres françaises est sans doute un fait très-significatif et dont nous ne voulons pas dissimuler la portée.

Mais un tout autre sentiment que fa rêverie, une inspiration qui purifie, qui ennoblit, qui divinise même l’abattement et la tristesse, s’éveille aussi par la main de ces deux maîtres sur la lyre moderne : c’est la pensée religieuse, c’est le sentiment de l’infini. Depuis Chateaubriand et Lamartine, le spiritualisme le plus élevé remplace comme doctrine poétique l’abjecte philosophie de la sensation ; par eux le christianisme rentre dans les imaginations et dans les cœurs avant de rétablir son empire sur la raison et sur la volonté. Le spiritualisme religieux n’a donc rien à craindre du sentiment de la nature, puisque la poésie religieuse a été ressuscitée en France par les mêmes esprits qui ont apporté chez nous cette autre muse nouvelle, éclose dans les forêts vierges de l’Amérique et bercée sur les lacs par les brises alpestres.

On ne saurait admettre non plus que, par lui-même, le sentiment poétique de la nature éteigne le désir et la faculté de l’action. En vérité, ceux-là sont déjà énervés,’qui, dans la contemplation des merveilles de l’univers visible, dans l’étude des grandes harmonies de la création, ne trouvent qu’un aliment aux molles rêveries, une occasion de se soustraire aux pensées viriles et de fuir la pratique du devoir. Quand il faudrait reconnaître que cette intimité avec la nature extérieure affaiblit quelquefois les caractères déjà faibles, il est certain qu’elle fortifie les