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deux siècles de distance, le prince de la musique allemande.

Cette forme nouvelle de l’art qui admet la nature à faire sa partie à côté de l’homme au sein d’un orchestre infiniment plus varié que celui de la muse classique, Beethoven et ses symphonies la représentent dans ce qu’elle a produit, jusqu’à ce jour, de plus profond et de plus achevé. La musique est aux derniers âges des sociétés, aux époques de religiosité vague et de rêverie, ce qu’a été l’architecture dans l’âge primitif, sous l’empire des religions positives et des fortes croyances. Je retrouve la physionomie et l’impression des temples et des épopées de l’Inde, où la figure et la personnalité de l’homme disparaissent sous la luxuriance des détails empruntés aux divers règnes de la nature, je retrouve cette impression grandiose, vague et pénétrante, en écoutant les symphonies de Beethoven. Le sentiment indéterminé qui s’exhale de l’âme du poète avec la mélodie y semble toujours assisté des mille voix de la création, et disparaît même quelquefois sous leurs accords variés dans les splendeurs de l’universelle harmonie.

La poésie, aussi légitimement que la musique et avec moins de dangers, car la matière dont elle se sert, la parole, se refuse à l’indéterminé et au vague, la poésie peut associer les harmonies de la nature à la voix de l’homme ; elle arrive ainsi à toucher des cordes nouvelles de l’âme, elle produit certains sentiments étrangers et peut-être supérieurs aux passions qui défrayent la poésie la plus humaine, la poésie dramatique » Cette association est fréquente dans le genre lyrique, quoiqu’elle n’y soit pas toujours apparente et nettement accusée ; on peut imaginer une sorte de poëme où la place faite aux instruments empruntés à la nature, aux harmonies dont elle accompagne en la développant, en l’agrandissant, en l’idéalisant,