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menaçant pour l’âme et la dignité humaine ? C’est là une trop grave question pour être traitée incidemment. Reconnaissons néanmoins que cette révolution a apporté aussi ses bienfaits, puisqu’elle nous a donné les grands paysagistes du XVIIe siècle, Poussin et Claude Grêlée, et enfin Beethoven, le roi de la symphonie.

Dès le XVIe siècle, la nature commence à disputer à l’homme le terrain même où il règne le plus exclusivement dans le domaine de l’art, la scène dramatique. Ce génie si humain, si héroïque de Shakespeare, n’a-t-il pas, en mainte occasion, laissé les voix mystérieuses de l’univers, incarnées en des personnifications diaphanes, pénétrer sur son théâtre et partager l’intérêt avec les actions, avec les passions de l’homme ? Ame essentiellement moderne, comme l’âme de Beethoven, poëte complet, le plus complet de tous depuis les Grecs, Shakespeare, cet immense miroir de la nature, devait réfléchir aussi quelque chose des sites merveilleux, des horizons infinis, même dans le cadre plus étroit où le tenait enfermé le genre dramatique. Sans citer les scènes éparses dans ses autres drames, la Tempête, le Songe d’une nuit d’été, ne tiennent-ils pas du paysage et de la symphonie ? Le poëte m’y fait apparaître, dans toute leur réalité, les forêts et les prairies blanches de rosée, les montagnes où se heurtent l’ombre et le soleil, les vagues de l’Océan qui se gonflent à la lueur des éclairs, et les fleurs qui frémissent frôlées par l’aile des oiseaux ou l’écharpe des fées. J’entends sur la scène le murmure de voix invisibles accompagner la chanson d’Ariel ou de Titania, et les grandes harmonies du désert éclater avec les soupirs et les sanglots des lèvres humaines ; j’y crois respirer, de toutes parts, les fraîches senteurs de la vraie nature, et j’y sens palpiter la vie universelle. Shakespeare, dans ces deux drames, touche aux grands paysagistes, et il atteint, à