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cette recherche excessive du volume de son et des effets de voix, de cette modification des instruments dans un sens de plus en plus bruyant et moins expressif, à ce point qu’il semble que la musique, pour pénétrer jusqu’aux âmes, n’a d’autres moyens que de déchirer les nerfs ? Tous ces symptômes sont pareils à ceux qui se manifestent dans les autres arts. Ils ont aussi leur raison d’être dans la domination de ce qui est extérieur à l’homme, dans la suprématie de la nature physique, devenue souveraine et tyran de l’intelligence. La mélodie, qui est tout entière de l’âme, peut se produire sans ce luxe de sonorité. L’harmonie prend ses termes de comparaison et ses modèles dans le monde extérieur ; elle peut s’inspirer d’un ordre étranger au cœur humain, d’un ordre à la fois mathématique et matériel. C’est par elle que la musique se rattache au sentiment de la nature ; c’est elle qui entraîne parfois le musicien jusqu’à vouloir rivaliser de bruit avec les cataractes et le tonnerre.

Mais sans parler des arts, la vie humaine n’est-elle pas, aujourd’hui plus que jamais, envahie par les choses du dehors, par ce qui est étranger & l’âme, par la nature, ou, pour mieux dire, par la matière, c’est-à-dire par tout ce qu’il y a de moins humain ? Que sont tous ces besoins nouveaux, toutes ces superfluités, qui fourmillent au détriment des vraies, nécessités de la vie et de la vigueur de l’esprit et du corps ? Qu’est-ce que ce luxe qui se prétend lié au progrès des arts ? Qu’est-ce même que la plus grande partie de ces merveilleuses conquêtes de l’industrie moderne sur la nature ? N’est-ce pas une véritable invasion faite dans les âmes par le monde matériel, un nouvel empire donné à la nature sur l’homme, aux sens sur la volonté ? A voir sainement les choses, cet avènement du luxe, qui n’est pas l’abondance, fondé sur la découverte d’un nouveau monde mécanique, constitue