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excessive du sentiment de la nature, le style deviendra donc plus imagé, plus matériel, plus exclusivement approprié aux sens, à mesure que la pensée se fera plus vague et moins rationnelle, à mesure qu’elle échappera davantage au domaine de la réflexion et de la conscience. Il arrivera souvent que cette réalité, cette couleur plus vive de l’image, au lieu de déterminer plus nettement l’idée, augmentera le vague et la confusion dans le style. Car la valeur des objets de la nature comme signes des objets moraux ne saurait être aussi précise que celle des termes abstraits, des signes du langage créés pour manifester et définir les divers états, les divers actes de l’âme. Les figures, les comparaisons, les métaphores complètent, sans doute, pour l’imagination et pour les sens, l’effet produit par le mot abstrait sur l’intelligence. Mais les images toutes seules ne franchissent pas le domaine de la sensibilité, et laissent la raison incertaine ; elles indiquent la pensée, mais sans l’exprimer véritablement.

L’excès du naturalisme nous conduit ainsi à deux erreurs qui semblent inconciliables et qui néanmoins se touchent, aujourd’hui, par bien des côtés : à cette notion grossière de l’art qu’on a nommée le réalisme, et à un certain genre de mysticisme, au culte de l’indéterminé, à une religiosité vague qui confond l’esprit et la matière, et pour laquelle le nom de panthéisme, qu’on lui applique souvent, est un terme trop exact et trop défini.

La seconde et la plus séduisante de ces erreurs ne saurait être le fait des artistes et rarement celui des poëtes ; elle se manifeste dans un monde considéré comme plus sérieux que celui de l’art. La philosophie elle-même et l’histoire n’ont pas été innocentes de cette exagération du sentiment de la nature. On nous prodigue, aujourd’hui, à propos des questions les plus graves, ces assimilations vagues qui font sortir un système d’une image, et une