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dangereux à bien des titres par la séparation qu’ils établissent entre les classes, par l’orgueil qu’ils suscitent chez les privilégiés, par le dénûment d’émotions agréables dans lequel cet art aristocratique laisse plongés les trois quarts des hommes.

Mais, dans la phase où nous entrons, l’art, inspiré de la science, associé à l’industrie, servi par elle et la servant tour à tour dans la production du luxe, des plaisirs délicats, de tous les objets destinés à charmer l’imagination et les sens ; l’art cesse d’être une œuvre d’exception, une chose rare et presque inutile, une jouissance interdite à la multitude : il pénètre dans les goûts, dans les mœurs et presque dans les aptitudes de tous. Une foule de procédés, aussi exacts qu’ingénieux, multiplient à l’infini les exemplaires des chefs-d’œuvre. Réservées jadis aux temples des dieux, aux palais des patriciens, aux édifices politiques, l’architecture, la sculpture, la peinture, répandent leurs ornements dans tous les carrefours. Un peuple de statues s’élève dans les villes ; des flots de musique et de peinture courent à travers nos demeures. Il n’est pas de besoin si vulgaire qui n’ait aujourd’hui son temple embelli par les arts. Les plus hautes aspirations de la nature humaine, le patriotisme, le sentiment religieux n’ont pas suscité autrefois d’aussi nombreuses armées de peintres, de statuaires et d’architectes.

Les boutiques des marchands, les auberges, les gares de chemins de fer, les lieux consacrés aux plus grossières réunions réclament le travail des