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de l’idée religieuse, il resta vague, imparfait, mystérieux comme elle, réservé comme elle aux adeptes, n’engendrant d’émotions que chez les initiés, étroitement dogmatique, incapable de donner un plaisir qui ne fût précédé ou suivi d’une leçon.

Dans sa seconde époque, l’art émancipé des sacerdoces, vivant de sa propre vie, livré à ses seules lois et aux inspirations du génie individuel, ne poursuivant d’autre but que l’expression de la beauté en soi, d’un idéal inaccessible et inutile au plus grand nombre des hommes, l’art demeure un privilège, la couronne des aristocraties, l’ornement et l’instrument des royautés et des patriciats, la fleur des civilisations oisives, rêveuses, préoccupées de je ne sais quel monde invisible dont la masse des hommes ne prend nul souci, dédaigneuse des biens positifs, indifférente au sort des multitudes.

A quoi servent ces œuvres si rares, ces beautés si difficiles à saisir, ces aspirations si peu précises ? Toutes ces richesses impalpables, en quoi contribuent-elles au vrai bonheur du genre humain ? Sous le joug des religions, sous l’aiguillon de cette vaine philosophie qui reconnaît un monde supérieur au monde terrestre et se consume à la poursuite de ce néant qu’elle a nommé l’idéal, l’art n’a produit que des fantômes nobles, purs, élégants, si vous le voulez, mais sans réalité et sans vie, rien qui puisse entrer dans l’usage et le plaisir quotidien. L’art n’a procuré aux hommes que des jouissances et des bienfaits imaginatives réservés à nos minorités d’oisifs,