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une race devenue, pourtant, si nerveuse et si délicate.

Malgré l’infériorité actuelle de son action morale, la musique en elle-même, et vis-à-vis de ses lois propres, n’en est pas mois infiniment plus parfaite de nos jours qu’aux siècles d’Auguste et de Périclès et sous le règne des Pharaons. Elle est en outre infiniment libre de se mouvoir dans sa sphère, ayant rejeté la domination des autres arts et les faisant servir à son tour. Quand elle daigne s’associer à la poésie, les paroles ne sont plus pour elle qu’un infime accessoire, un simple canevas sur lequel brodent ses doigts de fée. Elle a trouvé depuis le seizième siècle dans la société européenne sa saison propice, son âge d’or ; son jour de règne est à la fin venu. Elle a produit pendant cette période, avec Mozart, Beethoven et tant d’autres, ses œuvres capitales, auprès desquelles les œuvres de l’antiquité n’étaient que des préludes. De telle sorte qu’on peut conjecturer sans trop de risque, que ces merveilleux génies ne seront pas plus dépassés dans leur art qu’on n’a dépassé Phidias, Ictinus et Raphaël. La musique a eu son grand siècle au delà duquel il est impossible aux vrais artistes de rêver un progrès. Ce siècle dure encore, si l’on veut ; mais qui osera soutenir qu’il ne s’y manifeste pas quelques symptômes de décadence ?

L’évolution des arts s’est ainsi complétée par le règne de la musique. Est-ce à dire que cette évolution témoigne d’un progrès continu, et que la musique, parvenue la dernière à son point culminant, soit le