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Les esprits attisant le brasier souterrain,
Où se fondent pour nous l’or, le fer et l’airain ;
Le Cabire accroupi près des laves brûlantes ;
Ceux qui veillent parmi les racines des plantes,
Et dans l’antre azuré d’où s’épanchent les eaux ;
Ceux dont l’aile invisible agite les roseaux ;
Ceux qui, cachés aux troncs des chênes, des érables,
Vivent dans le profond des bois impénétrables ;
Ceux qui sur les sommets, rarement éclaircis,
Dormant dans leurs manteaux, sur les neiges assis,
Alimentent l’été les rivières accrues ;
Ceux qui, loin des frimas, guident les pâles grues,
Ou, marchant les premiers sur les plateaux déserts,
Mènent paître les daims au bord des fleuves verts :
Tous, agiles, pesants, cachés, profonds, sublimes,
Les dieux ont toujours eu soif du sang des victimes.
Les captifs les plus beaux, choisis dans le butin,
Les plus blanches brebis, seront pour leur festin ;
Car les plus sombres dieux, pour la rançon féconde,
De l’homme et des coursiers n’acceptent rien d’immonde.
Rassasiés enfin de la chair des troupeaux
Et du sang étranger, ils rentrent en repos.
Ils ne parcourent plus nos forêts et nos tentes,
Pour y prendre la nuit leurs pâtures sanglantes.
La tribu dont le glaive arrose leurs autels,
De son camp voyageur chasse les vents mortels.
Ses taureaux, ses brebis, ses cavales superbes,
Sans toucher aux poisons broutent les grandes herbes.
Mais pour sauver le sang il faut toujours du sang ;
Car un pouvoir terrible, éternel, tout-puissant,
Des dieux méchants dont tout sur terre est le domaine,
Pèsent incessamment sur cette race humaine. »
Et les prêtres entre eux disaient des mots secrets.