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I




Ce n’est plus le jardin, asile de délice,
Où l’âme dans les fleurs buvait à plein calice,
Le joyeux sanctuaire, à l’amour préparé,
Que dorait un soleil égal et tempéré,
De miel et de beaux fruits le sol inépuisable.
Où tout sentier était de mousse et de fin sable ;
C’est le désert vainqueur, libre du joug humain,
L’exil errant, l’exil sans tente et sans chemin ;
C’est une terre aride ou des marais sans bornes,
Et des bois hérissés que glacent des eaux mornes !
Horribles premiers-nés de ce royaume affreux,
Mille monstres sanglants s’y déchirent entre eux :
Les tigres, les lions rugissent ; les reptiles
Exhalent en poisons leurs haleines subtiles.
Dans chaque antre, dans l’air, dans les flots insoumis,
Dans l’arbre et dans la fleur l’homme a des ennemis.
De l’amour offensé la haine a pris la place ;
Car le monde est sans dieux quand notre âme les chasse.
Du séjour pacifique avec leur reine exclus,
Tes sujets, ô Psyché ! ne t’obéiront plus.
Cette vallée en fleur, si fraîche avant ta chute,
La terre n’est qu’un champ préparé pour la lutte,