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Ne livre pas ton cœur, fait pour rester serein,
Aux noirs emportements de ces douleurs sans frein.
Ce qui nous vient des dieux, ce que veut la nature,
Il faut le recevoir, ma fille, sans murmure.


ISMÈNE.

On peut donc regretter même les mauvais jours !
Hélas ! j’avais perdu mes plus saintes amours,
Les dieux m’avaient repris ma mère tant aimée ;
Dans la triste maison par le deuil enfermée,
Des injustes destins maudissant le courroux,
Avec toi je pleurais, assise à tes genoux ;
Entre tes chers baisers, l’orpheline ingénue
Au comble des malheurs se disait parvenue.
Te serrer dans mes bras, te baigner de mes pleurs,
Cela me semblait peu dans nos âpres douleurs !
Oh ! combien aujourd’hui je regrette ces larmes !
Ô mon frère, avec toi qu’elles auraient de charmes !
Et sur ce corps sanglant qui n’entend plus ma voix,
Combien me semblent doux les malheurs d’autrefois !
Ô charme de ses yeux, de sa main fraternelle,…
Éteints et disparus dans la nuit éternelle !
Harmodius, mon frère, ô tendre gardien
À qui j’obéissais, et qui m’aimais si bien !
Toi qui savais donner à ton ingrate Ismène
Mille bonheurs qu’alors elle sentait à peine,
Sur la terre, ô mon frère, et dans le noir séjour,
Tu resteras, sans fin, mon plus ardent amour.


LE CHŒUR.

Laisse-moi t’arracher à sa triste dépouille.