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Mais trop tôt, étouffant la voix dont je m’enivre,
Un bruit d’homme s’élève, et nous a séparés,
Moi pour aller mourir, et vous pour aller vivre
Dans ces mondes d’amour au sage préparés.


III



Je le sais, votre part, sans doute, est la meilleure ;
Mon esprit dort encor, le vôtre eut son réveil ;
Cette vie est mauvaise… et pourtant je vous pleure,
Vous qui ne verrez plus les fleurs ni le soleil !

Grande âme à ses amours avant l’heure arrachée,
Onde pour nous tarie avant les jours d’été,
Fort ouvrier laissant l’œuvre à peine ébauchée,
Harmonieux oiseau mort sans avoir chanté !

Peut-être en te pleurant je gémis sur moi-même,
Resté seul dans la lutte où tu viens d’expirer ;
Mais les décrets de Dieu sont sacrés pour qui t’aime,
Et, plein de ton esprit, je les dois adorer.

Comme tu le serais, je suis fort dans mes larmes ;
Je garde ta doctrine, et ta foi m’agrandit :
En de mâles adieux tu me lègues tes armes ;
Ta voix parle, j’entends ; voici ce qu’elle dit :

« Frère ! si Dieu te laisse ici-bas seul et triste,
C’est que l’homme nouveau dans ton cœur n’est pas né :
La main de la douleur, cette sublime artiste,
Au gré du maître encor ne t’a pas façonné.