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Mais des vallons obscurs et peuplés de fantômes
Aux ailes d’or du jour il faut ouvrir les dômes,
Pour qu’un soleil fécond fasse, en dardant sur eux,
Fuir de l’humide sol les esprits ténébreux,
Et, préparant les champs à des moissons prochaines,
Livre à des bras humains le royaume des chênes.
Dieu le veut ! les cités déplacent les forêts,
Et le désert souvent suit la cité de près.
Comme l’arbre, à son jour, quitte ou reprend sa feuille,
Quoi que fasse en ses flancs la ruche et qu’elle veuille,
Ainsi, docile au vent toujours prêt à souffler,
Le monde en ses saisons doit se renouveler.

Sur les coteaux ombreux pour qu’un peuple y fourmille,
Fais place avec la hache à ta jeune famille ;
Là, sous les cerisiers encor rouges de fruit,
Mille bruns moissonneurs souperont à grand bruit ;
De beaux enfants joufflus, rentrant le soir aux granges,
Passeront en chantant sur le char des vendanges,
Et les joyeux voisins viendront se convier
A rompre le pain blanc au pied de l’olivier,
Et tout ce peuple heureux des vastes métairies,
Uni pour le travail en douces confréries,
Célèbre en ses chansons l’ancêtre courageux
Qui de l’âge de fer vit les jours orageux,
Prépara le désert à la culture humaine,
Et, pour faire à ses fils un plus libre domaine,
Brava, tout en pleurant l’ombre qu’il adorait,
L’amour et la terreur de l’antique forêt.


1846.