Page:Laprade - Œuvres poétiques, Psyché, Lemerre.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Heureux le laboureur, heureux celui qui sème
Et reçut des aïeux son champ tout défriché !

« Il ne récolte pas son pain du sacrilège ;
Tranquille en son labeur, ignorant mes combats,
Il n’a jamais sapé le toit qui le protège,
Ces vieilles amitiés qu’en frémissant j’abats.

« Adieu les troncs divins qu’un peuple immense habite,
Les abeilles et l’homme et les oiseaux du ciel,
Tours que le vent balance et dont le flanc palpite
Ruisselant de fraîcheur, d’harmonie et de miel !

« Il en reste un… marqué du sceau fatal du maître,
Mon plus cher souvenir… à frapper quelque jour.
Mon vieil hôte, du bois l’ornement et l’ancêtre
À lui de s’écrouler… Puis ce sera mon tour ! »


II

Frappe, ô vieux bûcheron, et détruis sans murmures :
Les anciennes forêts pour la hache sont mûres.
L’orage est, comme toi, terrible et bienfaisant.
Oui, votre office est rude et ton fer est pesant :
Car ces bois sont pour toi consacrés par des tombes,
Ces rameaux ont porté le nid de tes colombes,
Et ce chêne entouré d’un culte filial
Prêta sa mousse épaisse à ton lit nuptial.
Dans le vague sommeil où son ombre te plonge,
De tes jeunes saisons le rêve se prolonge.
Il est dur de saper et de jeter au feu
Les vieux piliers du temple où l’on a connu Dieu.