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« D’ailleurs, la voix qui siffle en traversant l’érable,
Le son calme et plaintif qui s’exhale du pin,
Ont un écho dans moi, profond, vague, ineffable
Dont j’écoute en tous lieux le murmure sans fin.

« Si j’ai vos bras noueux, vos cheveux longs et rudes,
J’ai mes chansons aussi, mes bruits graves et doux,
Et sur mon front ridé le vent des solitudes,
O chênes fraternels, frémit comme sur vous !

« En ennemi, pourtant, sur ces monts que j’outrage,
La hache en main, frappant tous mes hôtes chéris,
Liés en vifs faisceaux pour un sordide usage,
Des rameaux et des troncs j’entasse les débris.

« Aussi mon âme est triste et j’ai le regard sombre ;
Destructeur des forêts, je me suis odieux ;
J’ai déjà dépouillé cent arpents de leur ombre ;
J’ai fait place aux humains ; pardonnez-moi, grands dieux !

« Mais c’est la pauvreté qui par moi vous profane,
Saints temples des forêts, arbres que j’aime en vain !
Pour mes fils affamés dans ma pauvre cabane,
Chaque arbre, hélas ! qui tombe est un morceau de pain.

« La pauvreté ! c’est elle avec qui ce fer lutte ;
Elle fait taire en moi ces choses que j’entends ;
C’est elle qui renverse, en pleurant sur sa chute,
Pour les besoins d’un jour, le chêne de cent ans.

« Heureux ! — si le bonheur visite un riche même,
Loin de cette ombre antique où parle un dieu caché, —