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La volupté des pleurs, l’âcreté des caresses,
Ces flèches de son arc, ces feux de ses autels,
Ces mille maux si doux, enfant, sont immortels !
L’homme peut voir crouler ses temples d’âge en âge.
Les débris de ses lois s’amasser par étage,
Ses soleils s’éclipser et brûler tour à tour,
Vivre sans rois, sans dieux, mais jamais sans amour !

Garde ton âme ouverte aux saintes voix du monde ;
Poète, écoute encor les vents, les bois et l’onde !
La main qui de leurs nids chasse les vieux démons
Va loucher le clavier des vagues et des monts,
Et l’hymne où mille cris jetaient un sens étrange
Tu l’entendras chanter, pur de tout vil mélange.
Chaque jour écartant un vain sujet d’effroi,
La nature s’approche et tend les bras vers toi ;
Vous pourrez vous aimer et vous parler en face ;
Plus d’œil caché dans l’ombre et d’Argus qui vous glace.
Sans passer à travers les flûtes des Sylvains,
Le vent de sa poitrine aura des sons divins ;
Sa voix, de jour en jour moins mystique et plus tendre,
T’expliquera les mots que nul n’a su comprendre ;
À son grand livre ouvert, dans un antre inconnu,
Comme en ton propre cœur tu pourras lire à nu.
Vous serez confondus dans un hymen suprême ;
Tu croiras dans ces bruits t’ouïr chanter toi-même :
Car cette âme qui coule et mugit dans les bois
S’agite dans ton sang, soupire dans ta voix.
Au lieu du vieux chaos où luttaient les génies,
Un monde va s’ouvrir tout peuplé d’harmonies,
Et tu seras le cri de ce dieu souverain
Qui se parle à lui-même avec l’organe humain !