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Là tu dors dans ta force après tes jours d’orages.
L’homme cueille en tremblant la nacre sur tes plages,
Dérobe le corail à tes murs de granit,
Mais nul n’a vu les bords où ton palais finit,
L’esprit seul peut plonger plus loin que ta surface ;
Sur ton front éternel nul sillon ne fait trace ;
À ton empire il n’est ni termes ni milieu ;
Qu’es-tu, vieil Océan, si tu n’es pas un dieu ?

Et toi que rien ne heurte en ta route azurée,
Toi dont les pas égaux mesurent la durée,
Feu voyageur, Soleil ! qui t’a donné l’essor ?
Si tu n’as ni coursiers, ni char, ni rênes d’or,
Si tu n’es pas d’un dieu l’étincelant quadrige
Quelle force t’entraîne, et quel bras te dirige ?
Chaque terre a sa part de tes dons enflammés ;
Mais il est des pays qui sont tes bien-aimés.
Ah ! si tu restes sourd au culte qu’on t’adresse,
D’où vient cette beauté dont se pare la Grèce,
Et pourquoi sur son front, de tes baisers couvert,
Germe avec tant de fleurs un laurier toujours vert ?

Nourrice aux larges flancs, aux tempes crénelées,
Ton char à deux lions roulait dans les vallées ;
Tous les êtres vivants, par toi multipliés,
Venaient boire à ton sein et jouer sur tes piés ;
Mais, ô Terre ! ô Cybèle ! ô mère qu’on délaisse !
L’homme aime mieux t’avoir esclave que déesse,
Et trouve, hélas ! plus doux tes dons de chaque jour
S’il les doit à sa force et non à ton amour !
Sèvre ce rude enfant qui brise sa lisière,
Et boit mêlé de sang le lait qu’offre sa mère !