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L’INVASION.


Fière de ce vaillant qui possédait son cœur,
Elle ne doutait pas de le revoir vainqueur :
Pierre est toujours certain d’accomplir ce qu’il ose ;
Dieu ne saurait faillir à cette juste cause !
Et la vierge au front pur, debout comme un guerrier,
Semblait prête à combattre au sortir de prier.

Le soldat rayonnait aux ardeurs de sa fille.
Lui seul, depuis trois jours, attristait la famille ;
Sombre, le vieux coursier rongeait tout bas le mors ;
L’espoir de ce grand coup l’allégea d’un remords.

« Enfin, dit-il, voilà que nos fils sont des hommes !
Ils sentent comme moi cet opprobre où nous sommes.
Des soldats étrangers sont maîtres du pays !
Non, je ne veux plus voir, dans nos bourgs envahis,
Ces habits odieux, ces sabres qu’on y traîne !
Ils fuyaient devant nous, conscrits armés à peine !
Marchons ! donnons la chasse à ces vils animaux ;
Il suffira contre eux des fourches et des faux.
Qu’on sonne le tocsin, que Pierre nous commande ;
Moi, soldat de Moreau, je serai de la bande ! »

Le sort était jeté, chacun de nos amis
Aux soins accoutumés se fut bientôt remis.

Offrant la lourde broche au sarment qui pétille,
Veillant à tout, passant du rosaire à l’aiguille,
La mère au coin du feu, sobre de longs discours,
Travaillait et priait, triste comme toujours.

Prompt à suivre son cœur, malgré sa tête grise,