Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
L’INVASION.

« Eh bien, qu’on nous imite !

L’insolent visiteur disparaîtra bien vite.
Qu’on s’indigne avec nous de cet affront commun,
Et tous seront sauvés par l’effort de chacun.
Que le moindre clocher sonne le glas d’alarmes ;
Que chacun sous son toit se dresse avec ses armes ;
Que tout hameau lointain vierge de l’étranger
Coure au-devant du flot qui nous veut submerger ;
Que dans un mur vivant bloc à bloc on se serre ;
Qu’un grand orage humain se soulève de terre,
Et, comme nos aïeux l’ont su faire autrefois,
Qu’il pousse devant lui les rochers et les bois !
Que tout homme jaloux d’une sœur, d’une femme,
Ayant à lui son champ et sa fierté dans l’âme,
Que tout chef d’une race et tout enfant pieux
Qui sait sous quel gazon reposent ses aïeux,
Jurant de recouvrer cette place usurpée,
Frappe un coup de sa faux, s’il manque d’une épée !
Et, certes, nous verrons ces torrents d’ennemis
Des villes et des bourgs promptement revomis,
Et nous redeviendrons, d’insultés que nous sommes,
Libres, maîtres chez nous, comme il sied à des hommes.

Les yeux du vieil ami brillèrent un moment ;
Puis, secouant la tête, il reprit tristement :

« Quels vengeurs reste-t-il aux campagnes désertes ?
La terre sera longue à réparer ses pertes.
Est-ce avec des vieillards, des femmes, des enfants,
Que vous repousserez ces soldats triomphants ?
La guerre a dévoré toute notre jeunesse.
D’où crois-tu qu’un essaim de vaillants nous renaisse ?