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L’INVASION.


Dans l’immobile aspect de son corps, de ses yeux,
Son esprit tourmenté qui creuse et se consulte
Trahissait les efforts d’un grand travail occulte,
Et le ferme vouloir d’accomplir, malgré tout,
Son dessein, quel qu’il fût, et d’aller jusqu’au bout.

C’était, pour lui, l’instant où s’ouvrent les deux voies,
L’une d’âpres combats, l’autre de molles joies ;
Nul devoir absolu n’ordonnait de choisir
La route ardue au lieu du facile plaisir.
Libre, enfin, il pouvait tenir la foi promise :
Pernette l’attendait, souriante, à l’église.
Sans doute, à de moins fiers, à de moins généreux,
L’honneur lui-même aurait conseillé d’être heureux.

Mais il est de ces cœurs naïfs et magnanimes
Portés à leur insu vers les fautes sublimes :
Au prix de maints dangers, quand, proscrit, pauvre, errant,
Pierre avait refusé ses bras au conquérant,
De nos soldats nombreux forçant la lassitude
Cet homme répandait au loin la servitude ;
Ses drapeaux triomphaient ; les enfants du pays
Étaient envahisseurs et non pas envahis.
Voilà que le torrent, refoulé dans sa course,
Porte chez nous la guerre et remonte à sa source ;
Et Paris étonné voit, sans croire à ses yeux,
Le Scythe impur campé sur le sol des aïeux.

Pour nous tous, ô Français, souvenir plein de rage,
La terre maternelle a subi cet outrage !
C’est le crime d’un homme, il n’en subsiste rien ;
Mais la haine en doit vivre au cœur du citoyen.