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PERNETTE.

Il fallut que l’ami, prêt lui-même à pleurer,
Souriant, suppliant, la forçât d’espérer ;
Lui montrât, de partout, d’infaillibles présages,
Et, conscrit de vingt ans, parlât comme les sages.
Il finit par ces mots :

« J’ai maint avis secret,

On en sait moins au bourg que nous dans la forêt.
Partant de loin, des lieux où notre sort s’agite,
De bannis en bannis les nouvelles vont vite.
L’homme qui tient sous lui le peuple gémissant
Et qui change l’Europe en une mer de sang,
Celui dont les limiers, chasseurs de chair humaine,
Me traquent dans ces bois et m’ont pris mon domaine,
Chancelant sur ce trône où d’autres vont s’asseoir,
S’écroulera demain, et peut-être ce soir.
Alors, libres et fiers dans le village en fête,
Nous qui l’avons bravé nous lèverons la tête ;
Et ses camps, nos forêts, ses cachots noirs et sourds
Rendront leurs fiancés aux filles de nos bourgs ;
Les cloches sonneront, et Pierre, sans remise,
Conduira triomphant sa Pernette à l’église. »

Que la joie est facile aux âmes de vingt ans,
Et qu’un triste horizon s’égaye en peu d’instants
Quand parle un amoureux, lui qui sait toute chose,
Et qu’il peint l’avenir, et qu’il voit tout en rose !
Comme on admire en lui l’esprit supérieur,
Et combien ses raisons s’imposent vite au cœur !
Pernette, en l’écoutant, accueillit la lumière ;
Elle crut, elle vit tout ce que voyait Pierre.
Souriant de sa peur, elle essuya ses yeux.