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PIERRE ET PERNETTE.


Or, planant au-dessus des splendeurs de ce jour,
Dans cet autre infini qui se nomme l’amour,
Puisant l’oubli des maux à ces deux sources saintes,
Ces âmes de vingt ans firent trêve à leurs craintes ;
Sans nul souci des lois et des hommes pervers,
Ils ne voyaient qu’eux seuls et Dieu dans l’univers.
Tout leur semblait ami, tout de joyeux présage.
L’espoir se fait si vite accueillir à cet âge,
Et le cœur, appuyé sur un amour certain,
Se croit si sûr de vaincre et l’homme et le destin !
Les soldats menaçants et les luttes prochaines,
Tout fut vite effacé par la mousse et les chênes,
Par les petites fleurs qu’ils cueillaient autrefois,
Par les rochers témoins de leurs jeunes exploits ;
Et, se livrant à Dieu sans nulle défiance,
Ils revinrent aux jours de leur paisible enfance.

Ils erraient à loisir sur les monts sinueux,
Tout leur passé riait et s’éveillait en eux,
Pierre disait :

« C’est comme à l’un de nos dimanches,

Je te revois petite avec tes jupes blanches,
Quand nous jasions tous deux, à l’abri des buissons,
Parlant de nos oiseaux, des chiens, de nos leçons.
Ton père nous menait visiter ses récoltes ;
Nous essayions, parfois, de joyeuses révoltes,
Grimpant au loin, pillant, sur le bord du sentier,
Et la blanche aubépine et le rouge églantier. »

Pernette poursuivait :

« Et plus tard, grande et fière,

Je suivais mon chasseur des prés à la bruyère,