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PERNETTE.

Dieu me l’a grand ouvert et je l’ai su connaître.
J’y lis mieux qu’en moi-même et plus avant peut-être,
Et, comme il n’en est pas d’aussi doux, d’aussi pur,
Nul ne sait mieux aimer et d’un amour plus sûr.
Mon exil peut durer ; mon errante existence
Fatiguera ces monts sans lasser ta constance.
Attisant le foyer, ou filant sur le seuil,
Pernette m’attendra, près de ma mère en deuil.
Je compte sur sa foi, plus solide et plus forte
Que le granit sacré du rocher qui me porte.
La terre où je suis né me fermera ses bois,
Leurs feuilles tomberont et renaîtront cent fois,
Les sources tariront ou fuiront de ma lèvre,
Avant que de son miel ton amour ne me sèvre ;
Et ce sol, pas à pas repris par un vainqueur,
Me manquera plutôt que ton cœur à mon cœur. »

C’était un de ces jours de lumière si pure
Que l’œil jusqu’à Dieu perce à travers la nature ;
On respire avec l’air l’espérance et la foi,
Sur ces vives hauteurs où l’homme se sent roi.
Le vent léger et frais, l’odeur de la résine,
Les intimes rumeurs de la forêt voisine,
Les lointains entrevus, là-bas, à l’orient,
Un éclair d’infini qui passe en souriant,
Tous ces flots de musique et de couleur intense
Dans nos flancs élargis centuplent l’existence.
On se sent un pouvoir égal à tout désir ;
On tendrait vers les cieux la main pour les saisir ;
Et l’on croit, dans son cœur qui se gonfle et ruisselle,
Que l’on va concentrer la vie universelle.