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PIERRE ET PERNETTE.

« Je savais, ami, ce que tu vaux

Lorsque je t’ai choisi parmi tant de rivaux.
Mon Pierre est un vaillant ! Bienheureuse est la femme
Qui trouve en son époux honneur et force d’âme ;
Qui, soumise à sa loi, peut, en obéissant,
S’appuyer sur un cœur si juste et si puissant !
Je t’ai pris à jamais pour maître ; et je me vante
D’être mieux qu’une reine en restant ta servante.
Je t’aime d’un amour et de fille et de sœur
Dont je ne puis sonder l’ivresse et la douceur.
Toi, le gai compagnon de mes jeunes années,
A travers tous ces jeux où nos amours sont nées,
Toi, si joyeux, si jeune et de si doux aspect,
Tu me remplis souvent de crainte et de respect !
Lorsqu’à ton bras, feignant quelque frivole envie,
J’ordonne en souriant et je me vois servie,
Dans la folle gaîté qui s’échange entre nous,
Parfois, je me sens prête à tomber à genoux.
Peut-être que mon cœur, plus soumis à l’usage,
Devrait, même à tes yeux, se voiler davantage ;
Mais, si je me taisais, dans tes jours attristés,
Quelle voix te dirait ces douces vérités,
Écarterait d’un mot tout le fiel qui t’abreuve ?
Qui donc viendrait en aide à cette longue épreuve ?…
Mais laissons le malheur s’épuiser dans son cours
Et restons enlacés fermement, pour toujours. »

Debout, en plein soleil, sur une roche étroite,
Pierre vers l’orient étendit sa main droite,
Et, prenant les forêts et les cieux à témoins,
Il dit :

« Va, de ton cœur, je n’espérais pas moins ;