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PIERRE ET PERNETTE.


Mais qu’un seul jour, traîné dans un exil fatal,
Je respire un autre air que ce bon air natal,
Que je cesse de voir, là-bas, nos plaines grises,
De compter par leurs noms ces bourgs et ces églises,
De me dire, en songeant à ma mère, au manoir,
J’y serai, s’il le faut, et j’y mourrai, ce soir ;
J’entendrai dans mon cœur si Pernette m’appelle,
Je veillerai d’ici sur son père et sur elle…
Qu’on m’arrache au pays, à ma vieille maison,
Qu’on me donne un palais, un camp, une prison,
Alors, chef ou soldat, que la mort me délivre,
Je ne suis plus un homme, et je ne veux plus vivre ! »

Heureuse de le voir, dans ces lieux faits pour lui,
Si ferme à supporter le péril et l’ennui,
La vierge résolut, en s’armant de courage,
De lui dévoiler tout, la ruine et l’outrage ;
Elle commença donc :

« Si, du haut des rochers,

Tu vois jusque chez nous, en comptant ces clochers,
Sache que sous mon toit la famille est complète ;
C’est là qu’il faut chercher ta mère avec Pernette ;
Nous n’aurons qu’un foyer pour mieux parler de toi.
Le tien était tombé sous leur méchante loi ;
Car, ne pouvant saisir, tuer le réfractaire,
On chasse les parents du chaume héréditaire.
Les murs sont démolis, le sol est ravagé,
Et, s’il perd un soldat, l’empereur est vengé ! »

Pierre entendit : ses yeux d’un fauve éclair brillèrent
De son front, de son cou les veines se gonflèrent ;