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PERNETTE.


C’est l’éclair qui nous luit, et non pas l’arc-en-ciel.
Sur vous, sur ces forêts, sur notre cher village
S’amasse et va gronder un formidable orage.
Notre sage pasteur n’agit pas au hasard ;
Je te parle en son nom et je viens de sa part ;
Voici que des soldats, sous un chef dur et sombre,
Vers le bourg, disait-il, marchent en très grand nombre.
Comment feront, là-haut, pour éviter leurs coups,
Tous ces pauvres enfants, traqués comme des loups ? »

Pierre sourit et dit : « Viennent l’homme et sa bande !
La montagne est bien haute et la forêt bien grande !
Fussent-ils plus de mille à fouiller dans nos bois,
Nos sapins sont encor plus nombreux mille fois.
Nous y pourrons braver les hordes qu’on nous lance,
Rien qu’en leur opposant cette ombre et ce silence.
Vers nos derniers sommets, s’ils nous suivent trop loin,
Nos rocs, pour les broyer, descendront au besoin.
Chaque arbre des sentiers recèlera sa foudre.
N’avons-nous pas, comme eux, du plomb et de la poudre ?
Partout, n’avons-nous pas d’invisibles amis ?
Un aide nous viendra des échos endormis ;
Les vents nous parleront une langue secrète,
Conseillant aux bannis l’attaque ou la retraite.
Pâtres et bûcherons, les forêts, les oiseaux,
Tout conspire avec nous, jusqu’aux chiens des hameaux
Je ne crains sur ces monts soldats ni capitaines ;
Une force m’y vient du granit et des chênes.
La terre où je suis né ne me trahira pas ;
Je me sens secouru par elle, à chaque pas.
Tant que ces vieux rochers se tiendront sur leur base,
J’y resterai debout, si le ciel ne m’écrase !