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LES RÉFRACTAIRES.


Moins donner le bonheur que consoler du mal.
Vous m’avez dit cela, vous, mère, et vous, saint prêtre ;
Et mon cœur me l’eût dit, à défaut de tout maître.
Donc, vers l’homme avec qui je dois vivre et mourir
J’irai seule : et, s’il est des risques à courir,
Me voyant femme forte et digne de lui-même,
Il m’en aimera plus, sachant mieux que je l’aime.
Que je parte, il m’attend ! Fille de ces forêts,
J’en connais les sentiers et les abords secrets,
Que de fois, tous les deux, sous le chêne ou le tremble,
N’avons-nous pas gravi ces sommets ! Il me semble,
Allant le retrouver, que nos bois, s’il le faut,
Tels que de vieux parents me défendront là-haut ;
Et, comme sous ce toit, à l’ombre de mon père,
Dieu parmi ces déserts me suivra, je l’espère. »

Et la vierge au grand cœur suppliait du regard
Son père et ses amis hésitants. Le vieillard
Troublé se recueillait ; le médecin rebelle
Allait darder son mot et pousser la querelle,
Quand le sage pasteur ajouta doucement :

« Respectons le désir qui parle en ce moment !
C’est le cri d’un cœur chaste et d’une âme intrépide.
Laissons à cette enfant son noble instinct pour guide.
Oubliant les périls, voyons mieux le devoir.
Laissons sur nos terreurs cette foi prévaloir.
La foi, sur l’Océan, au bord du précipice,
Pose un pied qui jamais ne s’enfonce et ne glisse ;
Dieu, pour franchir l’abîme et planer sur les eaux,
Dieu prête au ferme espoir les ailes des oiseaux.
Moi, je le sens, pas un des dangers qu’on redoute