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LES RÉFRACTAIRES.


De querelles, de coups ; et jamais le soleil
N’a vu pour la sagesse un régiment pareil.
Mais parlez-moi de vous, Madeleine ! À l’avance,
Je sais trop ce qu’annonce ici votre présence.

— Oui, docteur, je n’ai plus de pain, plus de maison.
Tout un mois j’ai nourri, payé la garnison ;
Hormis mon pauvre linge, il m’a fallu tout vendre.
Ces hommes sont partis n’ayant plus rien à prendre ;
Et je me croyais quitte ; un ordre est arrivé
De me jeter, mon lit et moi, sur le pavé.
La vengeance des lois, pour ces crimes suprêmes,
A défaut du conscrit frappe les murs eux-mêmes.
Je suis seule et sans force, et rien ne me défend…
On est à démolir le toit de mon enfant ;
Comme d’autres parents, près d’ici, l’ont vu faire,
Coupables de cacher leur fils, un réfractaire ;
Comme on l’a fait là-bas, chez le pauvre Simon,
Qui deux ans réussit à sauver son garçon.
Trahi plus tard, jugé, condamné par surprise,
On fusilla l’enfant sous les murs de l’église.
A tous les insoumis promettant même sort,
On affiche partout des menaces de mort ;
Et ce soir le préfet, pour dernière infortune,
Vient, dit-on, semoncer et taxer la commune.

— Lui ! dit le médecin. Que vont-ils faire encor
Pour nous tirer du sang, des larmes et de l’or ?
Ah ! moi, je le connais, et d’une date ancienne,
Ce baron-là, ce chien couchant croisé d’hyène !…

Et le bras du vieillard tremblait, le poing serré ;