Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
LES RÉFRACTAIRES.


J’arrive et j’ai tout vu : on ne manque de rien.
Or, vous savez que moi, mon bidet et mon chien,
Sachant tous les sentiers, ne craignant gens ni bêtes,
Passons à travers tout, malgré vents et tempêtes…

— On vous aime partout, voilà votre secret,
Dit la mère… Et que font nos gars dans la forêt ?

— Certes, dit le docteur, leur existence est douce :
On chasse, on pêche, on dort, même on boit sur la mousse ;
On sculpte le tilleul et l’on tresse l’osier ;
On visite, au dessert, l’airelle et le fraisier.
Les bergers des chalets, peu soumis à la règle,
Dans les creux des rochers cachent des pains de seigle,
Des fromages, du lard ; et, malgré la saison,
On ne se prive pas d’un peu de venaison.
Là-haut, il est aussi des chevreuils réfractaires,
Nos derniers sangliers y vivent solitaires.
Quand le pain se fait dur, on va se promener,
Un bon coup de fusil complète le dîner ;
On sait tendre un lacet juste au gîte du lièvre ;
La grive au crin fatal se prend sur le genièvre.
Puis le docteur, trottant là-bas dans le ravin,
N’est-il pas accusé d’aimer fort le bon vin ?
N’a-t-il pas au logis quelques vieilles bouteilles
— Comme on dirait en vers — du pur esprit des treilles ?
S’il met dans chaque fonte un armement complet,
Deux flacons d’élixir au lieu d’un pistolet ;
Si, parvenu là-haut, et débridant sa Grise,
A travers les sapins ce savant herborise ;
Si, sous quelques rochers des chasseurs très connus
Il dépose en grimpant les flacons bienvenus ;