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PERNETTE.

Ainsi, dans ce manoir, rien ne trahit un deuil ;
L’abondance et la grâce éclatent sur le seuil ;
Partout brille et sourit, sous la main des deux femmes
La propreté, miroir où se montrent les âmes.
Des soins promis au père, à l’enfant, à l’époux,
Tout ce logis témoigne, avec un art jaloux.
L’ordre en joyeux palais transforme un toit de chaume,
Et la reine s’y peint dans son petit royaume.

Or, tandis que cet art des cœurs simples et purs
D’un luxe à peu de frais égayait ces vieux murs,
Dans la cour retentit une voix claire et ferme
Et le pas d’un cheval bien connu dans la ferme.
Et chacun d’accourir : c’était le cher docteur !
On s’empressait ; le maître aidait le serviteur,
Versait la fraîche avoine et tendait l’auge pleine
Au bon trotteur couvert d’un chaud tapis de laine.

Mais là-haut, chez la veuve, et loin des indiscrets,
Pernette a du goûter achevé les apprêts.
Près des fruits, du gâteau, retirés de la planche,
Le reflet du vin blanc dorait la nappe blanche.

Et l’hôte aimé de tous, de plus près entouré,
Ne laissa pas languir le récit désiré :

« Tout va bien ; nos forêts ne vendront pas leurs hôtes,
Et sur ces braves cœurs portent leurs têtes hautes.
Ah ! l’on peut, libre encor, sous nos sapins gaulois,
S’abriter des sergents et des mauvaises lois !
Vrai ! si j’étais moins vieux, j’aimerais cette vie :
D’un nid au fond des bois j’ai toujours eu l’envie.