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LE SOLDAT DE L’AN II.


Qui se croit, sans nul titre, excepté du vulgaire,
Et seul contre son peuple ose se mettre en guerre,
Qui des lois et des mœurs veut remonter le cours,
Haï souvent, flétri parfois, vaincu toujours,
Ne sachant plus se prendre à rien de légitime,
Se condamne au malheur…, hélas ! peut-être au crime !

Tous restèrent saisis, le prêtre ayant parlé.
Le vieux Jacque hésitait, dans son cœur ébranlé ;
Nul n’osait plus jeter un mot dans la balance ;
Pierre baissait les yeux ; mais, rompant le silence

« Curé, dit le docteur, assez de sang humain !
Être aujourd’hui soldat, c’est être mort demain.
Et pourquoi ? Pour qu’un homme affamé de tueries
Alimente à plaisir ses longues boucheries.
Ce fils, on en ferait de la chair à canon !
Si vos lois disent oui, la nature dit non.
Otons-leur cet enfant, notre unique espérance.
Ce Corse a desséché les veines de la France !
Pour repeupler nos champs, comment feront vos lois ?
Comment reverdira le grand chêne gaulois ?
Moi, le vieux médecin, j’ai souci de la race ;
Et nul remords au cœur, certes, ne m’embarrasse,
Quand j’arrache au boucher des gars intelligents
Qui puissent faire encor souche de braves gens.
Toi, va dans nos forêts nous garder ta jeunesse,
Afin qu’un joyeux clan sous ce clocher renaisse.
La montagne offre encor, malgré les bûcherons,
Un asile, un rempart à de vaillants lurons.
Courage et bon espoir ! le dénoûment s’achève.
Ce trône fait de sang va crouler sous le glaive ;