Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
PERNETTE.


Tout ce qui reste au sol de garçons vigoureux
Se garde au fond des bois… Eh bien, pars, fait comme eux.
S’il te manque un fusil, prends le mien, l’arme est bonne,
Nous avons fait tous deux nos preuves dans l’Argonne ! »

Les yeux du fils brillaient, approuvant ce discours ;
Et la mère pleurait, pleurait, pleurait toujours ;
Et, ne pouvant parler, elle invoqua du geste
Le vénéré pasteur, le vrai juge qui reste,
Le juge du devoir par le Ciel inspiré.

« Mes amis, mes enfants, dit le sage curé,
Mon cœur vous est ouvert ; vous savez bien si j’aime
La sainte paix, vous tous, notre Pierre lui-même ;
Si je demande à Dieu, quand je prie avec vous,
Qu’il nous donne des chefs plus justes et plus doux :
Si tous les ans je lutte, au risque qu’on me broie,
Pour que le recruteur lâche un peu de sa proie.
Mais je ne puis, moi prêtre, en nulle occasion,
Appuyer du conseil une rébellion.
La loi reste la loi, même injuste et cruelle ;
Sa force vient d’en haut : nul n’est au-dessus d’elle.
Tout un peuple obéit, nous devons obéir ;
Dieu jugera plus tard et saura qui punir.
Pour nous, suivons l’exemple et le sort de nos frères ;
Nul n’a droit de marcher par des sentiers contraires.
Celui qui, sans orgueil, fait ce que fait chacun,
Et, soumis à la loi, subit le sort commun,
Eût-il le moins bon lot et les plus sombres chances,
Il échappe au remords, la pire des souffrances.
Mais celui qui, rebelle et marchant à l’écart,
Dans les devoirs de tous veut se choisir sa part,