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PÈLERINAGE.


C’était alors pour nous, pour tout un peuple heureux,
Le temps des longs espoirs et des vastes pensées ;
Tous ardents citoyens, tous rêveurs généreux,
Fils du siècle, alliés aux fils des anciens preux,
Dans une égale foi nous tenions embrassés
La liberté nouvelle et les gloires passées.
Les arts, après les lois, venaient de rajeunir ;
Tenant nos rêves d’or pour suprême richesse,
Nous devisions sans fin d’idéal, d’avenir…
Tout n’était pas perdu dans nos jours de paresse.
Mais nous avions, hélas ! un dangereux travers :
Pauvres, sans nul souci, nous faisions tous des vers !

Je voudrais, par vos noms, vous faire tous revivre,
Vous que Dieu m’a repris, vous les premiers témoins
Qui, dès mes premiers pas, m’excitiez à poursuivre !
Moi, je croyais en vous, et j’osai faire un livre,
Objet de tant d’orgueil, œuvre de tant de soins !
S’il eût été de vous, vous l’eussiez aimé moins…
Je voudrais par vos noms vous faire tous revivre.

Toi qui de ce beau ciel aimais tant la chaleur,
Dors, mon bon Gaszinski, dans la terre adoptive,
Doux exilé, poète à la grâce naïve,
Simple dans l’héroïsme et gai dans le malheur !
Ta Pologne a livré sa dernière bataille ;
Tu n’assisteras pas à l’heure du réveil.
Tes neveux et nos fils ne sont plus de ta taille ;
Tout vieillit et s’épuise… excepté le soleil…
Dors sous les oliviers d’un paisible sommeil !
Et toi le confident, toi l’ami de collège,
L’ami sensé, Mentor de tous ces jeunes fous,