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LES FIANÇAILLES.


Ainsi que les bergers les rois sont impuissants,
Et pour peindre à l’esprit cette rapide fête,
Les sons et les couleurs échappent au poète.
Le ciel s’ouvre, et tout homme en cet éclair béni
Aspire à l’éternel et conçoit l’infini.
Les simples et les purs, mieux que les grands du monde,
Sont admis à goûter cette extase profonde,
Et le Dieu qui la donne aux cœurs dignes d’aimer
Connaît seul le vrai nom dont il faut la nommer.

Quand de ces régions du rêve et du mystère
S’arrachant tous les deux ils revoyaient la terre,
Quand du divin silence ils remontaient le cours
En reprenant le fil de leurs jeunes discours,
C’étaient mille projets gracieux et champêtres
Pour la vie en commun sous le toit des ancêtres ;
Comme en font deux amants, la veille d’être époux,
En parlant d’avenir ivres de dire NOUS,
De faire à deux le plan de leur double existence
Et de mêler ainsi leurs destins par avance.

Pierre disait comment, par ses soins redoublés,
Une friche lointaine abonderait en blés ;
Comment l’eau du ruisseau, plus savamment conduite,
Des prés mieux abreuvés étendrait la limite ;
Comment il accroîtrait, par un mélange heureux,
La race des troupeaux plus gras et plus nombreux ;
Comme on verrait là-haut verdir, en peu d’années,
Un bois de pins couvrant ces roches décharnées ;
Combien d’outils nouveaux, décuplant le travail,
Allégeraient l’effort de l’homme et du bétail ;
Comme il saurait enfin, dans la maison prospère,