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LES FIANÇAILLES.


Et certes, vous montrez, compère, en l’acceptant,
Qu’à vos yeux le bon cœur passe l’argent comptant. »

Alors un des voisins, riche et de bon lignage,
Un de ceux qu’on écoute au conseil du village,
Hocha la tête et dit :

« O Jacques, fin matois,

On te loue… On t’envie encor plus pour ton choix !
Va ! Si les deux enfants ne s’aimaient d’amour tendre,
J’en sais qui feraient tout pour te souffler ce gendre.
N’en trouve pas qui veut, des pauvres comme lui !
Où les chercher, hélas ! Nos gendres, aujourd’hui ?
Tout notre plus beau sang s’est perdu dans ces guerres ;
Fillettes et parents, nous ne choisissons guères,
Un père a du bonheur, qui saisit, riche ou non,
Pour sa fille un beau gars, brave et de bon renom,
Promettant à l’aïeul une forte lignée
Et robuste à mouvoir la bêche et la cognée.
La vigueur d’un sang pur est le premier des biens.
Brave Pierre ! Un enfant, humble avec ses anciens,
Timide, et tout à coup l’âme la plus hardie !
Ah ! je le vois encore, au jour de l’incendie,
Sur les toits enflammés courir, porter les seaux…
Le voilà qui revient chargé de deux berceaux,
Rouge, entouré de feux sur quelques planches frêles,
Ses longs cheveux au vent, rapide, ayant des ailes,
Tel que, dans le tableau, sur le seuil de l’enfer,
Le saint Michel posant son pied sur Lucifer !
Et, vraiment, il ressemble à celui de l’église ;
Pernette, ce jour-là, le disait à Denise.
Ah ! Le vaillant garçon ! Au travail toujours prêt,