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LES DEUX PORTRAITS.

Leur sourire écartait tous ces nuages noirs :
L’orgueil, les vains désirs et les vains désespoirs.
Aux esprits généreux ils destinaient mes pages,
Chassaient toutes fadeurs de mes mâles ouvrages,
Et préféraient pour moi, dédaignant les moqueurs,
Aux vulgaires bravos l’estime des grands cœurs.

Ainsi, depuis vingt ans, je travaille et je pense
Sous leurs yeux bien aimés. J’y vois ma récompense.
Ils me parlent sans cesse, et tous mes vers heureux,
Les vers où vous pleurez, me sont dictés par eux.
Jamais un seul matin je n’ai pris mon ouvrage
Sans les bien regarder pour me donner courage ;
Jamais je n’ai souffert, jamais pleuré tout seul
Et sans mettre avec moi la grand’mère et l’aïeul.
Je vis en eux ; ils sont le meilleur de moi-même ;
Je tiens d’eux, et d’eux seuls, tout ce qui fait qu’on m’aime,
D’eux et de leurs esprits, de leurs cœurs grands ouverts.
Je n’en diffère, hélas ! que par bien des travers.
Heureux si je n’ai point, miroir trop infidèle,
Dans le cours de ma vie altéré ce modèle,
Si surtout en mes fils l’aïeul n’est pas déçu,
Si je leur ai transmis le cœur que j’ai recu !

Donc, lorsqu’il est besoin d’échauffer vos courages,
Adressez-vous, amis, à ces chères images ;
Vous m’y retrouverez ! Leur aspect caressant
Vous rendra plus encor que votre père absent ;
Ce sera moi toujours, mais plus doux, mais sans fièvres,
Sans amertume au cœur et sans tristesse aux lèvres.
Priez-les en mon nom, priez-les chaque jour ;
Ils ont plus de pouvoir s’ils n’ont pas plus d’amour.