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PERNETTE.

 
Chère vigne ! C’est moi, tout seul, qui l’ai plantée !
Si vous les aviez vus, du bas de la montée,
Mes pêchers, en avril, par un jour de soleil !
Le sol gris en était tout jaspé de vermeil.
Pour admirer ce champ, qui brillait entre mille,
Chaque samedi soir, au retour de la ville,
Pernette m’arrêtait, là-bas, sur le sentier
D’où l’on voit le manoir et le domaine entier.
Car j’ai su m’arrondir ma petite province,
J’y suis maître, et j’habite au milieu, comme un prince,
J’ai tout ce qui s’étend de la vigne au ruisseau :
Ces trèfles, ces froments, ces prés bien pourvus d’eau,
Ces chanvres près du bord courant le long des aunes,
Et là-haut, sous les pins, ces seigles déjà jaunes.
Ma forêt qui verdoie, au nord de la maison,
Avec ces rochers noirs, finit à l’horizon.
Jadis un taillis maigre, un fourré de broussailles,
Prolongeait au couchant le bois jusqu’aux murailles ;
Que j’ai mis là d’argent, de sueurs et d’ennui !
Mais cent tonneaux de vin en coulent aujourd’hui,
Et ma vigne, si haut sur les monts reculée,
Y mûrit sans subir ni brume ni gelée,
Tant l’héritage entier, sur un sol attiédi,
Reçoit un bon soleil du levant au midi. »

Ainsi parla, joyeux de lui vanter sa terre,
Le père de Pernette à la mère de Pierre ;
Autour d’eux, les parents, les voisins familiers,
Montaient vers la maison le long des groseillers.

Et, disant ce que tous avaient dans la pensée,
La mère du garçon vantait la fiancée :