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LE BON CHEVAL GRIS.

Le grand galop sur la verdure,
Le trot à travers les halliers…
Car tu réglais ta souple allure
Sur l’âge de tes cavaliers.

Tu souffrais, sans te troubler guère,
Leurs bonds et leurs cris argentins ;
Tu semblais, indulgent compère
De ces mille tours enfantins,
T’en réjouir à ta manière,
Et comprendre l’émoi du père
Au milieu de tous ces lutins.

Et lui, le distrait, le poète,
Écuyer des plus maladroits,
Par ton esprit, ô noble bête !
Combien l’as-tu sauvé de fois,
Quand, vers l’azur levant la tête,
Sans voir les périlleux endroits,
Sur ton dos il était en quête
D’une rime, au tournant du bois !

Les soirs où je fais ton histoire,
C’est à grand’peine, on peut m’en croire,
Que de pleurer je me défends.
Va ! tu méritais la victoire
Sur ces vains coureurs triomphants ;
Si je pouvais donner la gloire,
J’éterniserais ta mémoire,
Bon vieil ami de mes enfants !