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PERNETTE.

 
L’âge vint sans courber ni son corps ni son âme ;
Elle abondait toujours en paroles de flamme,
Et, quand nous attisions les souvenirs brûlants,
Ses grands yeux noirs brillaient sous de beaux cheveux blancs.
 
Un jour inscrit, hélas ! dans mes dates funèbres,
Jour de ce mois fertile en œuvres de ténèbres,
D’épais brouillards couvrant notre humide cité,
Mon esprit languissait dans mon corps attristé,
Le feu clair et flambant n’échauffait pas ma veine ;
Je ne pouvais penser et je rêvais à peine ;
Je portais lourdement le froid de la saison
Et les choses du temps écrasaient ma raison.
Une lettre était là : je l’ouvre avec paresse,
Et d’un rude aiguillon la douleur me redresse !
C’était un coup suprême, il fallait être fort :
Pernette me voulait près de son lit de mort !

Je partis. Le chemin fut bien long et bien morne ;
Le même où je riais enfant, à chaque borne,
Je le fis, consterné, sous un ciel ténébreux.
La neige couvrait tout, la plaine et les hauts lieux.
Les bois, se détachant sur la blancheur des landes.
Tenaient les vastes monts rayés de noires bandes.
Le cher pays, tandis qu’on clouait le cercueil,
Semblait s’être vêtu pour un immense deuil.

Elle vivait, forçant à vivre un corps inerte.
Sur l’antique fauteuil drapé de serge verte,
Elle attendait l’ami qu’elle avait appelé ;
Mon retour, son départ, tout était calculé,