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LA VEUVE.


Elle excitait d’un mot, chez ses petits convives,
Les curiosités de leurs âmes naïves :
Et son heureux savoir, saine et douce liqueur,
Nourrissait la raison en égayant le cœur.
C’était là son grand art : la lettre inanimée
Vivait, riait, chantait sous son aiguille aimée ;
Et, tout à coup, l’image, offerte aux jeunes yeux,
Répandait sa clarté sur le livre ennuyeux.

Elle égayait ainsi la lecture morose ;
L’épine sous ses doigts s’envolait de la rose.
C’était près d’elle à qui se ferait écolier ;
Tout enfant chérissait son toit hospitalier.
Plus de grossiers ébats, de rixes, de maraude.
Oh ! les bons jours d’hiver, dans la salle bien chaude,
À chanter doucement les antiques noëls,
À se faire conter des contes éternels,
À s’empresser autour du vieux livre d’images,
À changer mille fois de plaisirs et d’ouvrages,
À mêler la prière entre les jeux divers
Et même à réciter des fables et des vers !
Puis on posait cahier, tricot, livre au plus vite :
Les châtaignes fumaient dans l’immense marmite ;
Les branches de raisins s’abaissaient du plafond,
La corbeille de noix se vidait jusqu’au fond,
Et les pomme d’api, fraîches comme l’aurore,
Roulaient et bondissaient sur la table sonore.

Mais que tout valait mieux, les jeux et les leçons,
Quand l’école en pleins champs errait sous les buissons,
Et que le cher soleil avait mis tout en joie,
Du marmot qui brunit au chêne qui verdoie !