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LA VEUVE.


Chez le maître qui sert, nous mesurant l’épreuve,
De père à l’orphelin et d’époux à la veuve.

Le prêtre survécut, quoiqu’il fût le plus vieux.
Ce sol avait besoin d’un ouvrier pieux.
Dans le commun labeur ayant eu plus à faire,
Il alla le dernier recevoir son salaire.
Enfant, je l’ai connu ; j’ai le vif souvenir
D’un grand vieillard penché sur moi pour me bénir ;
La douce majesté dans tout cet homme empreinte
Me frappait de respect sans m’inspirer de crainte.
La bonté souriait dans ses graves discours.
Lorsqu’il m’avait parlé, je comprenais toujours.
Pernette me plaçait souvent sur son passage ;
J’en revenais, dit-on, plus docile et plus sage.
Je ne sais quoi de fort m’en demeure aujourd’hui ;
J’aspire à des hauteurs quand je rêve de lui.
Le meilleur de mon œuvre aura germé, peut-être,
Des endroits de mon front baisés par ce saint prêtre.

Il mourut. Son esprit nous resta tout entier ;
Le grand cœur de Pernette était son héritier.
Partout, dans le pays, à trente ans, libre et seule,
La vierge avait conquis les honneurs d’une aïeule.
Son pas était connu, son nom était béni
Sous les chaumes obscurs où le pauvre a son nid ;
Providence attentive, avant qu’on ne l’appelle,
Sa main s’ouvre en tous lieux et son cœur avec elle.
Chez tous les indigents que visitait son or
Sa tendre sympathie entrait, plus prompte encor.
Elle savait franchir, dans sa pitié discrète,
Cet endroit des douleurs où l’aumône s’arrête,