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LES NOÇES.


Et de ma douce vie et de ma douce mort !
Je meurs en plein amour, en plein bonheur de vivre,
Exempt de mille maux dont la mort me délivre ;
Heureux par-dessus tout de finir en chrétien…
J’ai tout aimé… mon Dieu, je ne regrette rien !
Je sais qu’après un temps qui passera bien vite,
On retrouve à jamais en toi ceux que l’on quitte.
L’adieu que je leur fais est proche du revoir ;
Il a ton nom pour gage et ton sein pour espoir.
Rends-nous donc assez purs pour devenir tes hôtes ;
Dans le sang de ton fils daigne laver mes fautes ;
Je t’offre ici, mon Dieu, pèse dans ta bonté
Ces douleurs de mon corps contre moi révolté,
Tout ce qui dans mon âme, à sa chair asservie,
Subsiste, malgré moi, d’attaches à la vie.
Reçois cette rançon ; et, pour t’apaiser mieux,
Compte-moi les douleurs, les vertus des aïeux,
Leur trésor amassé de combats, de prière…
Et ces larmes surtout que je coûte à ma mère !
Qu’après vous, ô mon Dieu, daigne me pardonner
Ce grand cœur maternel que je fais tant saigner !
Me pardonnent aussi les amitiés blessées
Et les saintes vertus que j’aurais offensées,
Et ceux que je combats jusque dans mon trépas.
Je meurs sans les haïr, mais je ne fléchis pas ;
Et je dirai, fidèle à ma cause, à moi-même :
Sur cet homme, pardon ! sur son œuvre, anathème !
Chrétien, je me repens, humble devant la mort ;
Citoyen, je meurs fier, sans l’ombre d’un remord.
J’ai bien fait de braver César et sa fortune,
D’écarter de mon front la bassesse commune,
De refuser mon bras à cet esprit d’orgueil