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LES NOCES.


Des signes trop certains présageaient le trépas.
L’ami repousse en vain l’augure qui l’accable,
La science a porté son arrêt implacable.
Dans l’aspect du vieillard, sur son front pâlissant,
On lit le morne aveu de son art impuissant :
Muet, les bras croisés comme un guerrier sans armes,
Dans ses yeux paternels tremblaient deux grosses larmes.

Mais Pierre, ayant levé les mains vers le pasteur,
Maître de ses esprits, lui dit avec lenteur :

« Me voilà citoyen du royaume céleste :
Je suis libre ici-bas pour le temps qui me reste :
L’homme par qui je meurs ne peut plus rien sur moi,
O mon père, et j’échappe à toute injuste loi.
Rien ne m’interdit plus, dans ce moment suprême,
D’obéir à mon cœur et d’être à ce que j’aime,
Et de donner mon nom, ma main, mon dernier vœu,
À celle que je vais attendre au sein de Dieu.
Mon père, unissez-nous ! prononcez sur nos têtes
Le mot qui nous convie à d’éternelles fêtes.
Chargez nos fronts bénis de ces puissants liens
Qui jusque dans le ciel suivent deux cœurs chrétiens,
Et qu’une fois serrés sur la terre où nous sommes,
Nul pouvoir ne rompra, pas plus Dieu que les hommes,
Vous qui savez mon cœur, qui l’avez éprouvé,
Cher pasteur ! donnez-lui ce qu’il a tant rêvé :
Ce titre où je voyais, dans mes jours les plus sombres,
La cause de ma vie et mon bonheur sans ombres,
La main de cette enfant, mon unique douceur,
Le droit d’être son frère et de l’avoir pour sœur,
De ne faire à nous deux, par un chaste mélange,