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LES FRANCS-CHASSEURS.


Ainsi Pierre, enivré de sa sève d’avril,
Se sentait deux fois vivre à l’heure du péril ;
Jamais si large flot d’émotions sereines
N’avait si fortement palpité dans ses veines.
Avec tous ses amours, sous un ciel radieux,
Il s’avançait armé sur le sol des aïeux,
Libre en sa jeune audace et fier de ce qu’il ose ;
Prêt à livrer combat pour la plus sainte cause,
Chef élu de soldats qu’il sait tous par leurs noms,
Ayant pour vieux amis ses jeunes compagnons,
Entouré des lieux chers, des souvenirs d’enfance,
Et dans sa volonté debout pour leur défense !
Voici les bois connus, la croix sur le rocher,
Là-bas la maison blanche et la tour du clocher,
Son univers à lui tout entier le regarde…
Pernette est son témoin, Pernette est sous sa garde !
Il va, l’amour le porte ; il va la joie au cœur,
Léger, tranquille, heureux comme un jeune vainqueur :
Des ardeurs de la lutte où sa vertu l’entraîne,
Il a gardé l’ivresse et dépouillé la haine ;
Il a même oublié, tant ses rêves sont hauts,
L’homme, l’homme fatal qui nous fit tous ces maux.

Il marchait, attentif aux vieillards, en silence,
Sans quitter le ciel pur où son âme s’élance ;
Et, jugeant, pour répondre, un discours superflu,
Il leur serra la main d’un geste résolu.

Déjà vers les hauteurs de pourpre ruisselantes,
Les heures s’inclinaient et paraissaient moins lentes ;
Tout se hâtait ; déjà le rideau noir des ifs
Abritait de sa nuit le gros des fugitifs.