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L’autel aérien d’où la divine Mère
Se penche nuit et jour sur toutes nos douleurs.

Des martyrs ont gravé, là-haut, votre épopée ;
Et, dans la plaine, au bruit du Rhône mugissant,
Aux lueurs de la bombe, aux reflets de l’épée,
J’ai lu tout un poème écrit de votre sang.

Là, vers cette chapelle où le deuil nous rassemble,
Fiers, léguant aux bourreaux la honte et les remords,
Vos pères et les miens, qui reposent ensemble,
Vengeaient la liberté par d’héroïques morts.

Ainsi dans votre histoire errant comme l’abeille,
Sur vos grands souvenirs heureux s’arrêter,
Le poète y moissonne et remplit sa corbeille…
Il y vient pour gémir, il y vient pour chanter.

Là fleurit pour mon cœur l’amitié sans épines ;
J’y trouve à m’appuyer au chêne, aux arbrisseaux.
J’ai poussé dans ce sol mes plus fermes racines ;
J’y tiens par une tombe et par quatre berceaux.

Là, j’ai connu la vie et le Dieu qui l’envoie,
J’ai goûté le calice à toute lèvre offert…
J’y tiens par la douleur, plus forte que la joie,
Et qui fait que l’on aime autant qu’on a souffert.

J’ai pris de vos penseurs, de vos maîtres mystiques,
Un idéal austère et caché dans les cieux ;
Vos échos, tout vibrants de la voix des cantiques,
Ont fait rendre à mes vers leur son religieux.